Ma chère grand-mère
Ma chère grand-mère,
J’aimerai tellement que tu saches, toi qui est partie depuis longtemps déjà, que les foyers ruraux de Lozère ont programmé pour la vingt-sixième année le festival « Contes et Rencontres ». Cela se passe sur tout le territoire de la Lozère. Les adeptes inconditionnels de ce festival se déplacent sur l’ensemble du département pour assister à des soirées conviviales chez l’habitant ou dans des salles communales.
Des professionnels du conte et de la chanson, chaque hiver viennent nous présenter le fruit de leur travail. Oui, parce qu’ils travaillent et sont payés pour raconter. On dit même qu’ils sont là pour faire du lien ! Tu n’y croirais pas !
Tous ceux qui les rejoignent ont une noble tâche, ils veulent faire savoir et disent qu’ils aiment profondément la nature, ils se mobilisent pour perpétrer le geste et la parole, les traditions quoi. Tu vois, tout n’est pas perdu pour les nouvelles générations.
Parmi ceux qui suivent le festival, j’en ai rencontré qui viennent de Bourgogne et depuis des années. Ils ont programmé un déplacement pour chaque soir. Après les contes qu’ils ont applaudis, ou pas, c’est selon, ils ne font pas « la brasucade », ils « prennent un pot » offert par le foyer rural. La rencontre, la convivialité, il faut la décider, la provoquer, il faut en être les acteurs, c’est tout un programme pour ces soirées de Février.
Que de kilomètres parcourus sur les routes par les uns et les autres, les salles qu’il a fallu chauffer au fuel, au moins un jour à l’avance. Les programmes qu’il a fallu imprimer se comptent par milliers. Le nombre de réunions au sein de chaque foyer rural pour choisir celui ou celle qui viendra animer une soirée, qui sera le meilleur ou la meilleure de tout le festival, les budgets qu’il a fallu adapter, les déficits qu’il faut combler parce que, justement, le jour où le conteur ou la conteuse vient, il est tombé, la veille, quinze centimètres de neige. Fichu ! le lien est rompu à cause du mauvais temps.
Personne ne circule, ils l’ont dit à la télé de ne pas se déplacer sauf pour les urgences.
A Saint Laurent, il paraît que l’on fait toujours le bon choix. Il s’en parle encore les années suivantes. Je l’ai encore entendu cette année dans le public « ici, on n’est jamais déçus ». ça veut dire qu’ailleurs on peut être déçu ? Ah, les goûts et les couleurs !
Figures-toi qu’à Saint Laurent, le gars, il venait de loin, de la Haute-Loire, il a parlé des oiseaux, des rivières, des arbres, il nous a dit qu’il était « un pêcheur d’oiseaux ». C’était beau et poétique, il nous a promené dans sa forêt avec ses passe-montagne de camouflage. Comme toi, il sait faire ami-ami avec le rouge-gorge. Il imitait bien le coucou mais j’ai pensé que grand-père faisait le coucou aussi bien que lui.
A la fin du spectacle, les spectateurs ne se sont pas levés, ils ont continué à réfléchir, ils sont restés dans ce bain de poésie, ils se sont réappropriés les forêts, le chant de l’eau, le vol du cincle plongeur. C’est comme ça quand ils trouvent que c’est une belle soirée.ça remue les émotions. Il s’appelle Jérôme Douplat. C’est pas un nom d’ici et pourtant il aime ce qu’on aime. La nature nous rassemble et nous ressemble, elle est universelle.
Grand-mère, je voudrais te dire qu’à Saint Laurent de Trèves, chaque année, lors d’une pleine lune, on organise une veillée, comme avant. On marche à pied, on va chez des voisins de la commune. Chacun raconte une vraie belle histoire, un conte, on chante même, on partage un vin chaud, des châtaignes et des recettes. On n’est pas payés, on n’a pas appris à conter, ça vient tout seul, dans notre belle langue d’ici et notre accent qui chante. Le grand-père l’avait appris de son père et moi de mon grand-père. La tradition et le lien, que l’on soit d’ici ou d’ailleurs, à l’an qué vén pour conter et rencontrer.
Le 26 mai, nous partirons en autocar pour aller à Saint Jean du Gard, nous irons nombreux visiter le musée des vallées cévenoles « Maison Rouge ».
Ce musée rassemble tout ce que tu as connu de ta vie domestique, de ta vie quotidienne traditionnelle, tous les éléments des activités pastorales et agricoles, sans compter la culture protestante. En quelque sorte la carte d’identité de notre territoire cévenol. Et pour tout ça, il a fallu l’amour, la passion, l’investissement de Daniel Travier qui tout au long des années a tout mis en œuvre pour que nos traditions et nos mémoires ne s’évaporent pas.
Ce jour là, je serai par la pensée avec vous tous qui avaient vécu et travaillé sur la terre cévenole que vous nous avait laissée en héritage.
C’est à toi, ma grand-mère à que je dédis ce petit clin d’œil venu du XXIème siècle. Quelques lignes de ces petits bonheurs. Je pense à toi.
Monique
Le 24 mars 2018.